Interview

Interview

Sarah Perez, Rezine

En 2019, Sarah Perez, blogueuse mode et beauté, a décidé de créer Rezine, sa marque de « luxe-à-porter éco-responsable ».

Depuis sa création, Rezine a pour objectif de créer des pièces originales en mettant l’accent sur la qualité. Pour Sarah Perez, « un vêtement durable ne doit pas seulement miser sur les matières utilisées, il doit aussi être bien fait pour qu’on puisse le porter longtemps « .

Avec la slow fashion comme prémisse, Sarah Perez a réussi à créer une communauté qui partage les valeurs de sa marque Rezine, ce qui lui a donné la force nécessaire pour faire grandir son projet.

Par Carolina Ortiz Jerez
Avant de créer Rezine, tu étais plutôt dédiée à l’univers de la beauté. Qu’est-ce qui t’as fait basculer vers la mode?

Quand je faisais mon école de mode à l’Istituto Marangoni, j’étais tellement focalisée dans ce monde, que j’avais envie de me sortir la tête des études en faisant une chaîne beauté. 

Ma première passion c’était vraiment la beauté, et puis ce qui me lie à tout ça, c’est raconter des histoires. Finalement, le produit est un peu une excuse. 

Je me souviens qu’Alix Petit de chez Heimstone, disait “je ne suis pas folle de mode, mais moi j’adore raconter des belles histoires, du storytelling, trouver la chanson qui va avec la pièce, etc…” Pour moi c’est un peu la même chose, j’adore le beau, le côté esthète, et pour moi, beauté et tissu c’est exactement pareil.

Qu’elle a été ta motivation pour créer Rezine?

Rezine est née d’une prise de conscience. Quand j’avais ma chaîne Youtube, je recevais tellement de coursiers (3 ou 4 par jour), que j’ai commencé à réfléchir à mon impact environnemental. Comme j’avais fait une école de mode, je voulais utiliser mes études et ma visibilité en construisant quelque chose de plus pérenne. 

Je me suis rendu compte, que quand je cherchais une belle robe dans le commerce, je me dirigeais vers certaines marques plus chères mais qui ne proposaient pas plus de qualité, ni un lieu de production local. Je me suis dit “où vont les gens quand ils veulent à la fois, ne pas faire l’impasse sur l’éthique et le style”?

Je voulais créer du “luxe-à-porter éco-responsable”, mais je voulais que Rezine existe surtout par son design.

Depuis ses débuts, Rezine met en avant l’éco-responsabilité. Pourrais-tu nous expliquer ta démarche en tant que marque?

Pour moi, le côté éco-responsable doit être le permis de conduire d’une marque qui se lance en 2022. C’est juste normal de faire les choses correctement, vu tout ce qu’on sait sur l’environnement aujourd’hui. Je ne voulais pas en faire un argument de vente, alors j’ai essayé de choisir mes combats. 

Ma priorité est vraiment la dimension sociale, alors ma logistique est faite par un ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail). Ce sont des personnes en réinsertion et en situation de handicap qui font les colis et je trouve ça génial.

Nous avons aussi mis en place la livraison à vélo, moins chère que la poste, et les colis sont livrés en 24 heures à Paris ou en proche banlieue.

Pour le choix des matières, au début j’utilisais de la soie que je prenais chez Liberty London en déstockage, parce que je n’avais pas encore d’imprimeur. Avec le temps, j’ai voulu faire mes propres tissus pour mettre en valeur ma créativité et suivre la traçabilité. 

Maintenant les imprimés sont faits exclusivement à Lyon. Les tissus mettent moins de 400 kilomètres pour arriver à Paris et toute la production est fabriquée dans un atelier parisien. 

De plus, nous cherchons à valoriser les chutes de tissus avec lesquelles nous faisons des chouchous, des petits bandanas, etc… Mais on peut toujours s’améliorer.

Pour ma dernière capsule, Plantasia, j’ai utilisé du EcoveroTM, une sorte de viscose qui consomme 50% d’eau en moins et qui a l’avantage d’avoir un entretien facile, qui passe en machine. Et pour cet été, je vais essayer le chanvre et le lin, parce que ce sont des matières produites en France.

Quelles sont tes inspirations au moment de créer tes collections?

Au début, je m’inspirais du linge de maison, de draps chez ma grand-mère et j’avais du mal à me détacher du tissu. Aujourd’hui, je m’inspire de tout ce que je vois : un film d’Almodóvar, un vase ou un tableau dans un musée qui va m’insuffler une association de couleur. Pour ma dernière capsule, Plantasia, je me suis inspirée d’un voyage à l’Etna, en Sicile, où j’ai vu un vase qui avait rouillé. Il y avait du cuivre et du mint, et du coup, ça faisait un vert rouille super beau.

Durant le lancement de la collection été 2021, tu as évoqué avoir été victime de plagiat. Comment apprend-on à se protéger?

C’est vrai que quand on est sur les réseaux sociaux, la confidentialité est compliquée. J’étais habituée à tout partager avec ma communauté et je ne pensais pas que les réseaux sociaux étaient un outil d’espionnage pour certaines marques. J’étais un peu naïve.

Aujourd’hui, j’essaye de partager quand même, parce que j’aime bien montrer le processus créatif, mais à la dernière minute. Ce plagiat a été un coup dur, mais a été aussi un moteur pour me booster et me dire “voilà, tu vas tout faire pour sortir en première”. 

J’ai écouté un podcast que j’adore, de Pauline Laigneau, fondatrice de la marque de bijoux Gemmyo, dans lequel elle dit que ce genre de situations doivent nous rendre fiers, parce que ça veut dire que nous faisons bien les choses.

Finalement, ça m’a permis de trouver d’autres ateliers et d’autres fournisseurs, donc c’est un mal pour un bien.

Depuis sa création, Rezine est passée d’un système de vente classique, avec des stocks déjà fabriqués, à l’achat en précommande. Comment ta communauté a-t-elle accueilli ce changement?

Quand j’ai commencé ma marque, je fabriquais 10 pièces par modèle. Le stock était limité et c’était très frustrant parce que je ne savais pas si mes pièces allaient plaire ou pas.

La précommande me permet de prendre moins de risques, parce que je produis seulement ce qui est vendu. Ce modèle a aussi un côté écologique, puisque mes clientes réfléchissent avant d’acheter. Elles savent d’avance que leur vêtement sera reçu dans un mois, donc ça participe à l’acte d’achat en pleine conscience.

C’est un processus de désirabilité du vêtement qui va bien avec mon modèle économique et environnemental.

Pour ta dernière capsule Plantasia, tu es allée encore plus loin en utilisant un seul imprimé. Pourquoi ce choix?

Au début, j’avais très peur de faire un seul tissu, puisque si les clientes ne l’aimaient pas, elles ne pouvaient rien acheter. C’était un risque certes, mais finalement tout le monde me dit que c’est très bien et qu’elles ont bien compris l’univers de cette collection.

Pour les nouvelles marques de vêtements, le thème des tailles revient très souvent. Est-ce compliqué de proposer un échantillon de tailles plus large?

Au début, avec mon ancien atelier j’allais jusqu’au 48 parce que c’était un petit atelier qui me permettait de faire une ou deux pièces par taille. Donc, si quelqu’un commandait un 46, je pouvais le faire.

Mais comme j’ai changé d’atelier, avec un suivi de production et un contrôle-qualité plus important, ils ont des quantités minimums.

Pour ma dernière collection, personne n’a commandé des pièces au-delà du 42. Donc, je n’ai pas produit des tailles qui n’ont pas eu d’acheteurs.

Pour les petites marques, il s’agit plutôt d’une contrainte financière, puisque au-delà du 48, il faut refaire le patronage et cela a un coût supplémentaire.

Je pense qu’une capsule spéciale “curvy” serait plus intéressante au lieu d’essayer d’étendre une pièce qui n’ira pas du tout à une morphologie en 46 ou 48. C’est un peu de l’hypocrisie de vouloir que tout le monde s’adapte au même style, alors que non.

Mais c’est vrai que les abonnées à Rezine me disent qu’elles désirent que la communication soit plus inclusive.

De quelle façon gères-tu les liens avec ta communauté?

J’essaye d’être une marque très participative. Dès que j’ai un doute, je pose une question à ma communauté de manière très ouverte et transparente.

Quand j’hésite entre deux imprimés, je leur demande de voter ou de choisir le nom d’un produit, par exemple.

Rezine fait vraiment partie de leur vie et quand elles achètent c’est parce qu’elles veulent me soutenir. C’est un peu un acte militant et engagé.

Comment vois-tu Rezine dans dix ans?

J’aimerais beaucoup avoir une boutique atelier et que les gens puissent venir voir les pièces se concevoir devant eux. Faire de la demi-mesure, où toutes les femmes et toutes les morphologies pourraient faire réadapter leurs vêtements.

À terme, je voudrais mettre en avant la seconde main. C’est vraiment un objectif 2022-2023, pouvoir collecter les habits Rezine des clientes et qu’elles n’aient plus cette charge mentale de gérer l’après. C’est pour cela que je travaille en amont pour avoir des vêtements durables et de bonne qualité.

Où peut-on acheter tes collections?

Sur mon site internet: rezineparis.fr