le recel des sneakers

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Un marché en vogue : le « recel » des sneakers

Depuis quelques années, certaines paires de baskets valent plusieurs mois de salaires. De plus en plus de jeunes spéculent sur ces sneakers rares et convoitées pour arrondir leurs fins de mois, s’improvisant ainsi magnats de la finance.

Par Ophélie Francq

Air Jordan, Nike Dunk Low, Air Force 1, Yeezy, New Balance, Dior… La basket n’est plus seulement l’affaire des sportifs et les modèles fleurissent. Soin apporté au design, multiplication des collaborations mais surtout stocks limités, la sneaker est devenu un ovni sur la planète mode et un véritable objet de spéculation. À un point où le marché mondial du recel explose et devrait atteindre 25 milliards d’euros sur les dix prochaines années.

Pour une paire, des collectionneurs sont même prêts à débourser plusieurs milliers d’euros comme pour les Nike Air Ships portés par Michael Jordan vendu 1,5 millions de dollars en octobre dernier par Sotheby’s. Un marché qui séduit les collectionneurs mais surtout le grand public et notamment les plus jeunes.

« En moyenne, le mois suivant la sortie d’une paire, celle-ci prend deux à trois fois son prix initial »

Étudiante en management à Perpignan, Marine, 24 ans, gagne plusieurs centaines d’euros chaque mois grâce au recel de basket.

« Et plus de 1000 euros pendant les vacances quand je m’en occupe à plein temps. » Son plus gros coup date de 2016 : « une paire de Nike Air Yeezy 2 Red October red » acheté à Londres 2000 euros et revendu 12 000. Aujourd’hui, elle vaut plus de 40 000 euros…», se souvient l’étudiante.

Rare fille dans le milieu, Marine participe depuis presque 10 ans à des tirages au sort (des « raffle » dans le jargon des initiés) organisés par les marques comme Adidas ou Nike ou encore des grandes enseignes comme Foot Locker ou Zalando. Via leur applications, il suffit de s’inscrire lorsqu’une nouvelle paire va sortir et espérer faire partie des gagnants pour pouvoir acheter les baskets au prix fort.

Autre moyen, mais plus coûteux en termes de temps : faire la queue très tôt devant le magasin le jour de la sortie. « Les marques peuvent mettre en vente des milliers de paires comme une centaine seulement. Ce système de stock limité fait qu’en moyenne, le mois suivant la sortie d’une paire, celle-ci prend deux à trois fois son prix initial. Et pour suivre la côte de chaque basket jour après jour, on utilise des applications comme StockX. Les prix peuvent même varier selon les pointures ! Chez les « resellers », on revend ensuite souvent sur Vinted. »

Une concurrence rude

Naviguer sur le marché du recel n’est pas de tout repos. « Si la marque décide de faire du restock par exemple, la paire perd immédiatement toute sa valeur »…

Il y a aussi les hackers qui réussissent à aspirer les commandes grâce à des robots; ceux qui obtiennent des paires grâce à leur réseau personnel (le pote du vendeur du magasin par exemple); et parfois les marques réservent des baskets à quelques clients « VIP ».

Le niveau des stocks disponible à la sortie d’une paire peut ainsi se réduire rapidement.

Et comme les tirages au sort ne permettent d’obtenir qu’une seule paire par personne, Marine a développé quelques astuces : « Je fais participer mes amis et ma famille, ils s’inscrivent à la raffle, et s’ils gagnent, je leur achète la paire et leur donne une commission. Il m’arrive aussi de faire des fautes d’orthographe dans le nom sur le même site ou de mettre plusieurs cartes bancaires»

« C’est presque une obsession. Un véritable quotidien »

Ultime danger pour les « recellers » : « garder la paire pour soi, la porter un peu… Au lieu de la revendre. Elle perd alors de la valeur », explique Marine, qui reste avant tout une grande passionnée de sneakers.

Si la jeune fille n’a jamais perdu d’argent dans ce business, Hugo, marseillais de 22 ans, ne peut pas en dire autant : « Ça me fait mal au cœur de passer autant de temps à dénicher une paire pour la revendre directement. Donc je les porte souvent un peu…Surtout que pour moi, chaque paire a son histoire. La couleur, la forme, la matière, la collab, chaque détail révèle quelque chose…» Une passion née à l’âge de 15 ans.

Un clip de Justin Bieber passe à la télé, Hugo flashe sur ses baskets mais ne trouve pas de quel modèle il s’agit. Il commence alors à s’initier à ce monde bien particulier. « Tous les jours, je suis sur les réseaux pour pister les nouveautés ou sur Vinted pour dénicher des bonnes affaires. C’est presque une obsession. Un véritable quotidien. C’est aussi très compulsif au niveau des dépenses. Certaines personnes vont aller au casino tous les soirs pour devenir riche, nous on guette les « raffle » tous les jours à 9h pour se faire de l’argent », raconte l’étudiant en BTS commerce.

Plein de bonne volonté, Hugo décide aujourd’hui de se rendre dans le célèbre magasin vintage « Maison Mère » à Marseille (souvent fréquenté par Jacquemus ou Léo Walk) pour leur vendre une paire nouvellement acquise et non portée ! Si Maison Mère est loin du mass market en termes de « recel de recel » de sneakers, d’autres ont fait le pari de monter un business à grande échelle.

« Chaque paire qui débarque dans nos ateliers est traité comme une oeuvre d’art »

Kikikickz, plateforme en ligne de revente de baskets, lancée en octobre 2020 par 4 amis compte aujourd’hui une quarantaine d’employés… entre 18 et 24 ans ! 

L’entreprise située dans un somptueux local place Valois, au cœur du premier arrondissement parisien, connaît une croissance de 30 % à 40 % par mois. Chaque jour, plus de 400 paires sont expédiées.

Leur force : un système de recherche de baskets extrêmement bien rodé basé sur le réseau tentaculaire de Killian, un des jeunes fondateurs. « Et chaque paire qui débarque dans nos ateliers est traitée comme une œuvre d’art », explique Killian. Des experts observent les coutures, les couleurs, les matières, les polices de caractère, l’emballage d’origine, jusqu’à l’odeur de la colle propre à chaque marque, afin de garantir l’authenticité de la paire.

Bonus pour les acheteurs, l’entreprise fait régulièrement gagner via leur compte Instagram une paire de sneakers.

La prochaine sera la : « Air Jordan 1 OG Dior», le graal absolu !  Rencontre du haut de gamme et de la sneaker, il en existe 8500 exemplaires, toutes numérotées. La plupart ont directement été offertes aux amis et égéries de la maison lors de sa sortie en juillet 2020. Fabriqués directement dans les ateliers Dior et non dans ceux de Nike; les paires sont entièrement conçues à la main.

Un bijou valant aujourd’hui environ 10 000 euros. L’heureux gagnant osera-t-il les porter ? Un véritable sacrilège pour quelques puristes…